La crise russe, une crise oubliée
Au milieu de l’effondrement économique de la fin 2008 / début 2009, la grave crise économique traversée par la Russie est curieusement passée relativement inaperçue. Jacques Sapir revient sur cet épisode peu connu et en analyse les raisons en profondeur dans un nouveau papier de référence. Son premier mérite est de rappeler la violence de la crise subie par Moscou : le PIB y a reculé de plus de 10% au premier semestre 2009 : seul le Japon a connu une récession plus violente.
A première vue, étant donné l’effondrement des prix du baril du pétrole, passé de 146 à 35 dollars du point le plus haut mi-2008 au point le plus bas mi-2009, on pourrait imaginer que la baisse violente du PIB Russe s’explique uniquement par cette raison. D’ailleurs, l’analyse des courbes semble indiquer une certaine corrélation, mais Jacques Sapir souligne les limites d’une telle analyse, que ce soit la corrélation entre les deux, ou même l’impact réel sur l’économie.
La part monétaire de la crise
Jacques Sapir introduit un autre facteur. Il explique l’ampleur de la crise par une erreur de politique monétaire. En effet, fin 2008, du fait de la crise financière globale la Russie a été victime d’une fuite des capitaux et d’une spéculation qui ont fait baisser le cours du rouble. Pour lutter contre les mouvements du marché, dangereux pour une économie en partie dollarisée, Moscou a eu recours à la potion monétariste traditionnelle, à savoir une hausse des taux d’intérêt et la vente de devises.
La Russie a ainsi vu ses réserves passer de 20 à 14 mois d’importation au cours de l’année 2008. Le taux des crédits à un an pour les entreprises non financières a doublé de juillet 2008 à janvier 2009, passant de plus de 10% à plus de 20%. Parallèlement, le taux pour le crédit à un an aux particuliers est passé de 20 à 30%. La masse monétaire M2 s’est ainsi effondrée de plus de 15%, de 14,5 à 12 trillions de roubles, provoquant un puissant effet dépressif sur l’économie.
L’alternative du contrôle des changes
Jacques Sapir soutient que la Russie n’avait pas besoin d’infliger une telle politique au pays et qu’il aurait suffi d’instaurer un contrôle des changes pour ne pas avoir à monter les taux d’intérêts de la sorte et ajouter une politique monétaire dépressive à un environnement économique déjà considérablement dégradé (crise financière, baisse du prix du baril…). Cette analyse rappelle sa vision de la crise asiatique de la fin des années 1990 ainsi que celle de Joseph Stiglitz.
En effet, en pratiquant le contrôle des changes, la Malaisie et la Chine avaient bien mieux traversé la crise que les pays qui avaient simplement suivis les recommandations du FMI. Seb soutient qu’une telle pratique aurait eu pour conséquence un moindre accès aux marchés de capitaux. Mais on peut objecter que la Russie a de telles réserves qu’elle n’en a guère besoin et qu’au final, les marchés ont une mémoire courte puisqu’ils n’hésitent pas à prêter aux pays qui ont fait défaut.
Encore une fois, Jacques Sapir démontre les ravages du « laissez-faire » et du « laissez-passer ». Cela amène une autre question, à savoir la nécessaire remise en question de l’indépendance des banques centrales, qui fige de telles politiques sans possibilité de changement.